Aliénation

J’ai rencontré le concept d’aliénation en pleine tourmente professionnelle. Professeur de musique dans une école municipale, je me sentais isolé, seul et dépossédé de moyens d’actions concrets sur la réalité même de l’institution. J’ai été amené à réfléchir sur le pourquoi de cette situation. Ce qui m’a amené à explorer deux faces du concept d’aliénation pour comprendre le réel de ma situation. Ces deux faces sont l’aliénation sociale et l’aliénation mentale.

Au fur et à mesure de ma recherche je me suis rendu compte que ces deux concepts ont partie liée. Les deux se rejoignent sur des problématiques institutionnelles. En effet, l’aliénation sociale peut se comprendre comme oubli de l’auto-institution de la société. Ce qui voudrait dire que, concrètement, il est possible pour une société, mais aussi pour des groupes, des collectifs d’agir pour leur autonomie en agissant sur les institutions et en prenant conscience que ces institutions ne sont pas des données mais des constructions humaines sur lesquelles il est possible d’agir.

L’aliénation en ce sens, prise comme aliénation sociale, traduit alors un certain rapport aux institutions qui est dit hétéronome, qui s’articule et qui s’oppose en même temps à un rapport pensé, lui, comme autonome. Mais cette aliénation sociale s’articule également avec nos modes de socialisation qui impliquent que l’aliénation est aussi, au niveau de la psyché, un mode de subjectivation si l’on suit la perspective lacanienne. Cette aliénation passe alors, selon cette perspective, par le langage.

Or le langage est également une institution. En ce sens, il est possible, malgré son caractère de déjà-là, d’agir à travers lui, mais aussi de prendre conscience de la manière dont nous sommes agis par lui. Ainsi l’aliénation se joue dans une dialectique entre autonomie et hétéronomie. Dépasser l’aliénation serait dépasser l’hétéronomie dans laquelle nous nous subjectivons, notamment par le langage, pour nous construire individuellement et collectivement.

Penser l’aliénation sociale et psychique revient alors à penser à la fois l’hétéronomie et les voies de son dépassement par l’appropriation et la transformation de l’hétéronomie en autonomie. La psychothérapie institutionnelle (PI), pour ne citer qu’elle, a mis en place toute une série de concepts et de dispositifs pour enrayer la machine aliénatoire.

L’hypothèse défendue par la PI est de créer les conditions pour qu’une institution ne soit pas, ou le moins possible, aliénante. A cet effet, il s’agit de développer une analyse institutionnelle mais aussi de mettre en place des dispositifs qui permettent de contrecarrer les effets aliénants de toute institution. Ces effets aliénants sont autant la bureaucratisation, que la division du travail, la hiérarchie des statuts, des rôles et des fonctions. Toutes notions mises au travail par la PI.

L’un des apports essentiel de la PI pour nos collectifs d’aujourd’hui c’est le Club, véritable institution d’autogestion et de mise au travail des institutions. Par ailleurs, c’est en travaillant à la déspécialisation des tâches, des rôles et des fonctions que les effets d’aliénation peuvent permettre d’inventer au quotidien des institutions de soin.

Malgré la désignation des termes qui semblent spécifiques à la PI, il me semble qu’il est possible aujourd’hui de se réapproprier ces concepts et ces pratiques pour inventer d’autres pratiques réfléchies à venir.

En ce sens le concept d’aliénation dans ses dimensions sociales et psychiques permet de réaliser une investigation dans nos réalités concrètes de manière informée. Ce concept devient alors un outil critique qui permet de penser et d’agir dans le monde qui nous environne.

Claude SPENLEHAUER (juillet 2015) – claudesp@gmail.com

Bibliographie sélective et commentée

HABER, S. : L’Aliénation. Vie sociale et expériences de la dépossession, Actuel Marx, 2007. S. Haber inscrit l’aliénation dans une perspective de dépossession et d’expérience dépossessive. L’ouvrage se déplace également entre aliénation objective et aliénation subjective en suivant le mouvement historique de ce concept de Marx à Foucault.

POUILLAUDE, E. : L’aliénation. Psychose et psychothérapie institutionnelle, Hermann, 2014. L’ouvrage propose une histoire du mouvement de la psychothérapie institutionnelle ainsi que des concepts et pratiques développés par celle-ci. Il montre comment s’articule la réflexion théorique à la pensée pratique dans le cadre d’une institution de soin. De plus, E. Pouillaude, outre les apports concernant l’aliénation psychique, propose une lecture originale du concept d’aliénation par celui de domination.

SPENLEHAUER, C. : Qu’est-ce que l’aliénation ?, Mémoire de Master 2, Juin 2015, (En ligne)

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